mardi 6 janvier 2015

Les sacrifices humains dans la Chine ancienne (et ce qu'ils nous apprennent)


Remarquablement moderne par certains aspects, la Chine antique a aussi été une grande amatrice de sacrifices humains - bien plus que les civilisations gréco-romaine ou mésopotamienne à la même époque. Aperçu de cette page oubliée (mais pas inintéressante) de l'histoire chinoise.

Les sacrifices humains en Chine : ordre de grandeur

Victimes de sacrifice humains : quatre squelettes décapités dans le cimetière de Xibeigang (dynastie Shang)Les tombes de la dynastie Shang (environ -1500 à -1000 av. JC) témoignent de l'importance apportée au culte des morts : de très nombreux objets, des chambres mortuaires imposantes... et beaucoup plus de squelettes qu'il n'en faudrait. Par exemple, l'ensemble de sépultures de Xibeigang près d'Anyang, dont on estime qu'il a été utilisé pendant 150 ans, contient, en plus des restes des souverains Shang, ceux de près de 5000 personnes.

L'enterrement des grands du royaume n'était pas la seule occasion d'offrir des sacrifices humains. Ceux-ci pouvaient également être effectués lors de cérémonies d'hommage aux ancêtres. Ils étaient parfois consignés par écrit sur les omoplates de bovin et les carapaces de tortues utilisées pour la divination, ce qui permet d'en évaluer le nombre. Selon le spécialiste de l'âge de bronze chinois David Keightley, pendant les 150 ans d'utilisation de la tombe de Xibeigang, près de 10.000 personnes auraient ainsi été immolées au culte des ancêtres royaux - ce qui fait tout de même plus d'un sacrifice humain par semaine.

Des victimes humaines sont régulièrement retrouvées dans les sépultures de notables et d’empereurs au moins jusqu'à la dynastie Han (-206 à +220), le nombre de victimes variant de quelques unes à plus d'une centaine. La pratique devient ensuite exceptionnelle même si des cas sont encore enregistrés.

Tous sacrifiés, mais pas égaux...

Mais revenons aux tombes des Shang, on peut distinguer deux catégories de sacrifiés. D'un coté, certains corps -hommes et femmes- se trouvent intacts à proximité du souverain, disposant parfois de leur propres cercueil et d'objets funéraires. De l’autre de jeunes hommes placés généralement dans une pièce séparé, portant des traces de supplices (ils sont souvent décapités ou démembrés) et enseveli à même le sol.

Pourquoi cette différence de traitement ? Il semble que les premiers aient été des "accompagnants", de toutes classe sociales y compris pour certains appartenant à l'élite, destinés à remplir dans l'au-delà une mission auprès du souverain comme ils n'avaient fait de son vivant, alors que les seconds étaient de simples sacrifices sans doute de prisonniers de guerre.

Le fait que des membres de l'élite accompagnent le souverain dans la mort n'est pas inédit, mais dans la plupart des civilisations qui ont connu ces pratiques ce sort est réservé aux femmes et concubines. Dans la Chine antique, la fidélité des mâles aussi est supposé se prolonger dans l'au-delà.

Qu'en déduire sur la conception chinoise de la mort ?

Cette situation est très révélatrice de la conception chinoise de la mort - conception qui, même si elle a été depuis largement teintée de bouddhisme, persiste aujourd'hui.

Pour les chinois la mort est toute en continuité. Il n'y a pas de jugement dernier, pas de pesée de âmes ou de rétribution... Peu importe que la vertu du souverain, il restera dans l'au-delà le souverain et ses serviteurs resteront ses serviteurs. La mort n'est pas l'occasion de remettre en cause la hierarchie sociale. L'idée que "les derniers seront les premiers" (Matthieu 20:16) est complétement étrangère aux Shang. Et, je crois, à la plupart des chinois contemporains.